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Transaction avec la Douane et DEE

Transport - Douane
26/12/2021
Pour contester au fond la dette douanière qui lui est réclamée par un avis de mise en recouvrement (AMR) de la Douane, un opérateur invoque l’inopposabilité de la transaction qu’il a signée avec cette administration, mais en vain selon un arrêt de la cour d'appel de Nancy du 29 novembre 2021 qui écarte aussi le non-respect du droit d’être entendu (DEE) avancé par lui s'agissant de la communication de document.
 
Le 16 août 2016, un opérateur importe des marchandises dédouanées au bureau de douanes d'Épinal qui, les 17 et 18 août 2016, procède à un contrôle de celles-ci et émet, le 15 novembre 2016, un avis de résultat de contrôle selon lequel elles relèvent d'une autre position que celle déclarée et sont donc soumises à des droits de douane supérieurs.
 
Le 5 septembre 2017, un Certificat de Contrôle Non Conforme (CCNC) est délivré par les agents au représentant l’opérateur, qui déclare ne pas partager les conclusions de la Douane et se réserver le droit de les contester. Entendu le même jour par les agents verbalisateurs sur des infractions à la législation douanière consécutives à des déclarations fausses sur la nature des objets précités, le représentant accepte un projet de règlement transactionnel (en application de l’article 350  du Code des douanes), tendant à mettre fin à la procédure pénale et à obtenir la mainlevée de la saisie des marchandises litigieuses en contrepartie du règlement immédiat de la somme de 372 euros au titre des droits et taxes éludés et d'une amende de 100 euros à régler au plus tard le 20 septembre 2017.
 
Le 20 septembre 2017, l’opérateur est destinataire d'un premier avis de mise en recouvrement (AMR) qu’il fait annuler pour vice de forme, et le 18 mai 2018, d’un second AMR. Sa contestation de ce second avis ayant été rejetée, il assigne la Douane aux fins de le faire annuler au fond s’agissant de la dette et de faire déclarer irrégulière la procédure de contrôle. Sur le premier point, cela passe par la remise en cause de la transaction dont il conteste l’opposabilité à son égard. Sur le second point, cela passe par un non-respect du droit d’être entendu (DEE) à défaut de la communication d’un document par la Douane.
 
Inopposabilité de la transaction à l’opérateur : erreur sur l’objet et caducité (non)
 
Pour pouvoir contester au fond le montant des droits de douane qui lui est réclamé via l’AMR de la Douane, l’opérateur invoque l’inopposabilité de la transaction qu’il a signée avec cette administration. Il avance pour cela deux arguments : d’une part, son erreur sur l’objet de la transaction qui selon lui n’incluait pas la dette ; d’autre part, la caducité de l’accord transactionnel consécutive au paiement de l’amende qu’il n’a pas effectué auquel une clause l’obligeait. Écartant ses arguments, le juge retient que la transaction signée, portant reconnaissance des faits reprochés ainsi que son acceptation d'un règlement amiable, exclut tous les moyens de fond opposés par l’opérateur s’agissant de la dette.
 
Erreur sur l’objet : l’infraction ET la dette
 
Pour l’opérateur, la transaction a été signée au vu d'une erreur sur son objet, qui vicierait donc son consentement et impliquerait la nullité de la transaction : selon lui, l’objet de l’accord ne porte que sur les poursuites pénales au sens de l’article 350 du Code des douanes, ce qui permettrait à la juridiction de statuer sur le bien-fondé de la dette douanière.
 
Pour la Douane, il n’y a pas d’erreur du signataire de la transaction compte-tenu des termes non équivoques de celle-ci portant reconnaissance des faits reprochés. Selon cette administration, la transaction a été acceptée et signée par le représentant de l’importateur et les droits et la TVA prévus par cet accord ont été acquittés, à l'exclusion de la pénalité de 100 euros : la transaction n'a donc pas uniquement pour effet d'acquiescer à l'infraction et de mettre fin aux poursuites pénales, elle est aussi opposable à la société appelante et exclut toute nouvelle appréciation (au fond de la dette).
 
Pour le juge, qui rappelle la définition de la transaction de l’article 2044 du Code civil (« un contrat par lequel les parties par des concessions réciproques, terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître »), « la transaction douanière est un contrat soumis aux dispositions du code civil sus énoncées, ce qui suppose que les parties s'accordent des concessions réciproques » et « celles-ci peuvent être concrétisées pour les douanes par, outre le montant de l'amende, le fait de renoncer à porter l'action en justice ou de faire droit à une demande de non poursuite judiciaire ». Et c’est bien le cas dans cette affaire : l’accord transactionnel portant reconnaissance des infractions douanières, à savoir une fausse déclaration de valeur et une fausse déclaration d'espèce, mentionne que « l'intéressé reconnaît les faits rapportés ci-dessus – fausse déclaration sur la valeur, l'espèce, l'origine des marchandises de nature à éluder ou compromettre un droit de douane ou une taxe (...) – et demande que cette affaire pour ce qui le concerne en application de l’article 350 du code des douanes, soit terminée à l'amiable suivant l'une des deux modalités suivantes : l'intéressé s'engage à souscrire le projet de transaction aux conditions suivantes : paiement d'une amende de 100 euros non réglée sur le champ (...) ».
 
Le juge rappelle aussi et surtout que, selon les termes des articles 2048 et 2049 du Code civil, « les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu » et « les transactions ne règlent que les différends qui s'y trouvent compris soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l'on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui y est exprimé ». Par conséquent, en signant la transaction, le représentant de l’opérateur a reconnu le bien-fondé des infractions relevées à son encontre dans le procès-verbal, « qui renfermait nécessairement tous les droits et actions poursuivis au titre de la dette douanière » : cette reconnaissance fonde donc la demande en paiement des droits et taxes éludés pour lesquels l’AMR a été notifié, « ce qui implique pour la société, l'impossibilité de la contester ».
 
Sur ce point et dans le même sens, voir notre actualité sur l’effet de la transaction sur la contestation de la dette douanière à propos de Cass. com., 16 déc. 2020, n° 18-25.558.
 
Erreur sur l'existence d'une infraction
Le juge ajoute qu’il ne peut y avoir en l’espèce de la part de l’opérateur d’erreur sur l'existence d'une infraction au droit douanier (erreur qui vicierait son consentement et permettrait l’annulation de la transaction) : au contraire, l'absence d'erreur sur l'existence d'une infraction résulte des propres déclarations de l’opérateur qui, dans le procès-verbal d'audition après notification du certificat de contrôle non conforme, a indiqué qu’« à ce stade [il] ne partage pas les conclusions [de la Douane] et se réserve le droit de les contester » ; ainsi, selon les magistrats, « il en résulte la preuve d'une appréciation différente mais non d'une erreur ».
 
Clause de paiement de l’amende : un motif de caducité de la transaction au seul bénéfice de la Douane
 
L’opérateur veut aussi faire reconnaitre la caducité de la transaction en avançant qu’il n’a pas réglé l’amende douanière prévue par cet accord : une clause de ce dernier a pour effet de le rendre nul, si l’amende n’est pas acquittée.
 
Pour la Douane, l’opérateur n’est pas en droit de faire valoir la caducité de l'accord transactionnel du fait du non-paiement de la totalité des causes de la transaction – ici la seule pénalité – qui résulte de son propre fait.
 
Pour le juge, qui suit la Douane, l'absence d'exécution de la clause de paiement de l'amende incluse dans la transaction litigieuse ne peut pas entraîner automatiquement la caducité de l'accord : s'il est « constant », selon les magistrats, que toute transaction douanière est légalement subordonnée au paiement préalable des droits compromis auxquels la Douane ne peut renoncer, « il n'en résulte pas pour autant la possibilité pour le contrevenant qui n'a pas respecté son engagement au paiement de l'amende prévue dans la transaction, de se prévaloir de la clause de caducité, laquelle est prévue pour et dans l'intérêt unique de l'administration des Douanes ».
 
Violation du principe du contradictoire/DEE : défaut de communication (non)
 
Pour l’opérateur, qui se fonde sur l'article 67 A du Code des douanes (relatif au droit d’être entendu, ou DEE), la procédure est viciée pour non-respect du principe du contradictoire : avant la notification d'infraction, la Douane doit lui notifier l'ensemble des éléments lui permettant de valablement faire connaître ses observations et donc, selon cet opérateur, lui communiquer l'ensemble des documents émis antérieurement ou postérieurement à l'avis de résultat de l'enquête ou du contrôle, ce qui ne serait pas le cas puisque, selon lui, le Certificat de Contrôle Non Conforme (CCNC) fait référence à des informations et documents qui n'ont pas été transmis lors de la procédure et avant la notification de l'infraction. Plus précisément, il vise l'absence de communication de l'avis de classement de l’ex-Bureau E1 de la DGDDI, document « fondamental » selon lui pour constituer l'infraction qui lui a été notifiée.
 
Pour la Douane, l'avis de résultat des contrôles se réfère au rapport du Service Commun des Laboratoires (SCL), à l'exclusion de la demande par la Direction régionale des douanes de l’avis de classement auprès de l’ex-Bureau E1 qui est postérieur à l'avis de résultat de contrôle, qui n'a pas fait varier la position initiale de l'administration après l’avis de résultat de l'enquête, qui constitue une procédure interne et n’est donc pas communicable et qui, en outre, ne précède pas la décision de la Direction régionale suffisamment étayée par le rapport du SCL. Par conséquent, le principe du contradictoire est respecté et la procédure régulière.
 
Le juge se fonde sur l’article 67 A dans sa version applicable à partir de 2017 qui renvoie donc au CDU pour les modalités du DEE dans le cadre de droits à l’importation comme en l’espèce. Or, le Certificat de Contrôle Non Conforme (CCNC) notifié le 5 septembre 2017, comporte le détail de l'avis de classement de l’ex-Bureau E1 dont l’opérateur n’a pas sollicité la communication... ce qu’il pouvait faire (voir en ce sens notre actualité  à propos de Cass. com., 10 févr. 2021, n° 18-13.392, décision rendue sur le fondement de l’article 67 A dans sa rédaction applicable de 2010 à 2016). À défaut de cette demande, le DEE est donc respecté sur ce point.
 
Plus d’information sur ces sujets notamment dans Le Lamy Guide des procédures douanières, n° 1005-8, n° 1005-38, n° 1025-10 et n° 1025-40 et s. La décision ici présentée est intégrée à ces numéros dans la version en ligne de l’ouvrage sur Lamyline dans les 48 heures à compter de la publication de la présente actualité.
 

 
 
Source : Actualités du droit