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Image  Bercy, Journée accès au marché, 27 mars 2023

Accords commerciaux de l’UE : faciliter leur utilisation par les opérateurs !

Transport - Douane
29/03/2023
La « journée accès au marché » qui s’est tenue à Bercy le 27 mars 2023 dans le cadre de la « semaine de l’export » a remis en avant la nécessité pour la France comme pour l’Union européenne de s’appuyer – sans naïveté – sur les accords commerciaux et d’en faciliter l’utilisation par les entreprises françaises, la Douane jouant là toujours son rôle de soutien économique. Ce fut aussi l’occasion de présenter une analyse des premiers résultats de l’étude lancée par la DG Trésor sur l’utilisation des préférences tarifaires par les opérateurs et de faire un focus sur les accords avec le Chili et la Nouvelle-Zélande.
Les accords commerciaux, d’indispensables leviers économiques à utiliser sans modération pour les opérateurs, mais pas sans naïveté selon les institutions
 
Pour Olivier Becht, le Ministre délégué en charge du commerce extérieur, l’intérêt des accords commerciaux réside dans leur faculté à réduire le « léger déficit commercial » de la France qui a atteint les 163 milliards d’euros en 2022. Même hors déficit structurel, il approche les 80 milliards. Bref, pour diminuer le déficit, « on a besoin des accords de libre-échange, mais pas dans n’importe quelles conditions » selon le Ministre délégué. Une révolution dans les accords a lieu avec l’introduction d’une politique durable et assertive, comme par exemple dans l’accord UE-Nouvelle-Zélande qui prévoit des aspects environnementaux, avec les Accords de Paris, la lutte contre la déforestation, le respect du droit du travail des conventions de l’OIT, des mesures miroirs pour le respect des normes sanitaires et environnementales (voir aussi ci-après). Certains outils « défensifs » ont aussi besoin d’être renforcés, par exemple pour une mise en œuvre plus rapide des clauses de sauvegarde. Plus offensivement, pour partir à la conquête de nouveaux marchés, il faut faire « sortir d’une politique commerciale qui a été un peu naïve », ajoute Olivier Becht. Même discours pour le Ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, Marc Fesneau : parce que le multilatéralisme est « chahuté » et que la question alimentaire est à nos frontières (avec les pays du Sud, de l’Est et avec l’Asie), il faut penser les accords en vue d’un retour au calme des relations commerciales et sous l’angle géopolitique pour « stabiliser les choses ». Parce que les accords, « ce n’est pas que du business », souligne le ministre qui s’empresse de préciser lui aussi qu’il ne faut pas être « naïf ».
 
Le constat est partagé au niveau de l’Union européenne. Denis Redonnet, Chief trade enforcement Officer à la DG commerce de la Commission européenne, confirme que les accords génèrent des bénéfices concrets (voir ci-dessous) dans un climat dégradé mais qu’une vigilance est de mise. En effet, si les relations internationales entre l’UE et les pays tiers sont perturbées (par la guerre, la coercition économique, les sanctions économiques, la tendance protectionniste, ou encore l’érosion du système multilatéral), cela implique une « politique commerciale dynamique » de l’UE et « ferme » sur le sujet des accords, avec un éventuel recours aux instruments juridiques extérieurs à ceux-ci pour remédier aux « trous dans la raquette » laissés par ces accords. En effet, il ne faut pas « faire l’erreur de la naïveté » face au réalisme du contexte s’agissant du respect des règles par nos partenaires. La Commission a ainsi réorganisé ses process pour agir « rapidement » auprès des autorités partenaires : un « single entry point » permet aux opérateurs de déposer leurs plaintes sur les conditions d’accès au marché, sur les barrières tarifaires, ce qui a abouti sur 2021-2022 au règlement d’une trentaine d’obstacle avec différents pays dans différents secteurs. Autrement dit, pour ce représentant de la Commission, il faut utiliser « de manière décomplexée » toute la boite à outils des accords, c’est-à-dire les préférences tarifaires d’une part et les possibilités de règlement des différends et les instruments autonomes d’autre part.
 
Le soutien de la Douane et les enjeux des accords commerciaux
 
L’action économique de la Douane : du conseil et des outils
 
Guillaume Venderheyden, Sous-directeur au commerce international à la DGDDI, rappelle que les exportations françaises en 2021 représentent 91 milliards d’euros certes « grâce » à la nouvelle relation avec le Royaume-Uni (contre 76 milliards en 2019) et que, si les entreprises françaises utilisent à 76 % les préférences tarifaires des accords et ont réalisé 2,7 milliards d’économie grâce à ceux-ci, elles auraient pu en bénéficier à hauteur de 3,3 milliards ! C’est toutefois en progression sur les dernières années et par conséquent dynamique. Il reste donc à « aller chercher les entreprises » qui n’en profitent pas. À cette fin, le sous-directeur rappelle l’action économique de la Douane dans ce domaine avec le maillage territorial de cette administration et le rôle de conseil personnalisé de ses pôles d’action économique (PAE) et de leurs cellules conseil aux entreprises (CCE) qu’il ne faut pas hésiter à contacter, avec le Service grands comptes (SGC) dédié aux « grands exportateurs », avec les attachés douaniers (notamment pour la réglementation dans les pays de destination), avec le développement de la « douane de confiance » via les opérateurs économiques agréés (les OEA qui bénéficient d’avantages et par exemple d’une réduction des contrôles), les exportateur agréés (EA), les renseignements contraignants sur l’origine (les RCO, des rescrits en matière de règles d’origine), ou encore avec l’Information sur le Made in France, l’IMF.
 
Remarques
Ces aspects et d’autres de l’action économique de la DGDDI sont régulièrement rappelés lors des événements auxquels elle participe ou qu’elle organise ; voir par exemple en dernier lieu « Colloque sur la Douane dans un monde en mutation : rappel de son rôle de partenaire des opérateurs économiques et perspectives », Actualités du droit, 14 mars 2023).
 
Accélérer les accords et simplifier les règles d’origine préférentielles : un enjeu pour les entreprises
 
Luisa Santos, Directrice générale adjointe de Business Europe, rappelle les évolutions qu’ont connu les accords en termes de contenu depuis quelques années déjà : outre le commerce des marchandises, ils intègrent en effet désormais aussi celui des services, les marchés publics ou encore le développement durable (ces derniers étant absents de certains accords anciens comme celui avec le Mexique, il faut les y intégrer). Ils impliquent des efforts sensibles demandés aux entreprises pour s’y adapter et c’est une réalité qui doit être prise en compte. Aussi, les accords doivent s’adapter plus rapidement pour que les opérateurs en profitent mieux et les utilisent aussi plus.
 
Pascal Perrochon de France Chimie souligne que la longueur de ratification des accords et leur application « provisoire » parfois longue, comme c’est encore le cas par exemple pour l’accord avec le Canada, peuvent expliquer que les PME ne s’y intéressent pas.
 
S’agissant des règles d’origine, il faut, selon Luisa Santos, d’une part les élaborer en pensant aux plus faciles à gérer par les opérateurs et en les adaptant à la réalité des productions. Elle constate en effet que si ces règles sont compliquées et ne permettent de réaliser qu’une économie de 1 à 2 % de droits de douane, les entreprises préfèrent plutôt payer ceux-ci que d’investir dans la gestion de ces règles. D’autre part, les règles de cumul de l’origine doivent être plus exploitées. D’une manière générale, elle souligne aussi le besoin d’information à destination des PME et l’utilité du suivi des accords.
 
Interrogé sur la simplification des règles d’origine, Guillaume Venderheyden rappelle la création au sein de la Douane d’un service dédié aux RCO précités (voir RCO et IMF : un service douanier dédié au 1er mai 2022, Actualités du droit, 17 janv. 2022) et le délai préférentiel de délivrance des RCO pour les OEA (70 jours pour eux contre 120 jours pour les non-OEA). S’agissant de l’information à destination des opérateurs, il ajoute que la politique de communication de la DGDDI passe notamment via les représentants en douane enregistrés (les RDE qui effectuent 85 à 90 % des formalités douanières des entreprises), les organismes de formation (comme l’ODASCE), ou les représentations et fédérations professionnelles sectorielles.
S’agissant des PME, Denis Redonnet confirme aussi qu’il faut mieux leur faire connaitre les accords pour supprimer la crainte de la complexité. Il rappelle sur ce point que la Commission européenne a investi dans des outils comme « Access2Markets » qui, depuis 2020, offre une information gratuite sur les droits de douane, les quotas, les formalités douanières et un « outil d’autoévaluation pour le bénéficie de l’origine préférentielle », avec ROSA qu’il qualifie de « quasi-calculateur des règles d’origine ». Or, la part du trafic sur ce portail pour les entreprises françaises représente seulement 8 % et la « marge de progression » est donc sensible en France s’agissant de l’utilisation de cet outil qu’il faut développer et faire connaitre.
 
Effets positifs des accords en général
 
Sébastien Jean, professeur à la Chaire Jean-Baptiste Say d’économie industrielle au CNAM, souligne que les accords de commerce permettent une augmentation des échanges de l’ordre d’un tiers, mais c’est variable d’un accord à l’autre et d’un secteur à l’autre. Les effets des accords sont de plus hétérogènes. Certes, les droits de douane sont réduits, « mais c’est plus que ça » : au plan des contraintes réglementaires, on diminue les « coûts inutiles » (voir l’exemple dans l’encadré ci-dessous), une coopération s’instituant aussi au fil de l’eau ; les marchés publics sont inclus ; la propriété intellectuelle est protégée... et la résolution des désaccords (déjà prise en compte en amont des négociations) est prévue par des procédures spéciales. De plus, ajoute-t-il, les accords sont facteurs de stabilité au regard des risques géopolitiques, en fournissant déjà un cadre qui limite les tensions.
 
Nicolas Ozanam, délégué général de la fédération des exportateurs de vins et spiritueux, confirme bien sûr l’utilité des accords de commerce pour la réduction des droits de douane s’agissant d’une filière parfois protégée à l’étranger par des tarifs élevés, mais aussi l’intérêt d’accord « réglementaire » (s’agissant de pays avec lesquels il n’existe pas d’accord commercial) pour réduire les « coûts cachés » liés par exemple à des normes particulières, comme des règles œnologiques ou d’étiquetage aux USA.
 
Les accords de commerce, une bonne voie ?
 
Devant l’absence d’accord politique et commercial avec les USA et la Chine qui ne sembleraient pas en vouloir, un représentant de la FNSEA pose la question de l’opportunité des accords en général. Pour Luisa Santos, il faut manifestement voir le sujet sous un autre angle : ce sont les autres parties qui ne voudraient pas d’accord avec la Chine parce qu’elle est trop puissante (mais celle-ci a des accords avec la Suisse ou l’Australie par exemple). S’agissant des USA, c’est l’administration Biden qui ne souhaite plus d’accord (mais ils en ont déjà comme par exemple avec l’Australie également).
 
Questionnaires sur l’utilisation des préférences tarifaires des accords commerciaux : premiers résultats
 
Sur ce questionnaire lancé le 15 février dernier et auquel les opérateurs peuvent encore répondre jusqu’au 15 avril prochain, Thomas Brisset de la DG Trésor rappelle qu’il partait du constat que, si le taux d’utilisation des accords par les entreprises françaises est certes élevé, c’est d’avantage pour les importateurs (86% en 2020, la moyenne de l’UE étant de 81%) que pour les exportateurs (71% en 2020, alors que la moyenne de l’UE est de 75%) : il y aurait donc là un « gisement d’économie » à réaliser ! De plus, selon ce constat, des disparités sont révélées par pays et par secteurs et il existe des marges de progrès potentielles notamment avec l’Algérie (145 millions d’euros d’économies possibles) et la Corée du Sud (90 millions d'euros), ainsi que dans les secteurs de la chimie et des machines.
 
L’analyse préliminaire des résultats du questionnaire exportateurs révèle que 57 % des répondants sont des PME et que 57 % ne connaissent pas ROSA (voir ci-dessus). En revanche, 76 % des répondants savent que les produits qu’ils exportent peuvent bénéficier de droits de douane réduits ou nuls et 85 % fournissent à leur client/à l’importateur les preuves d’origine nécessaires (avec des différences par secteurs d’activité toutefois). De plus, près de la moitié des répondants indique éprouver des difficultés à se conformer aux règles d’origine, la principale portant sur la collecte des documents nécessaires (avec là aussi des différences par secteur). Enfin, le Royaume-Uni (et c’est sans doute consécutif au Brexit et au nouvel accord avec ce partenaire) et le Maroc sont les pays avec lesquels les répondants ont le plus de difficultés pour se conformer aux règles d’origine.
 
Cette analyse préliminaire du questionnaire exportateurs mentionne aussi au titre des « principaux problèmes en matière de règles d’origine rencontrés par les répondants :
  • 1 - Le client/importateur n’a pas demandé de fournir une preuve d’origine alors que le produit répond aux règles d’origine ;
  • 2 - Un manque d’information pour évaluer si le produit est originaire et comment préparer la preuve d’origine ;
  • 3 - Les coûts supplémentaires et/ou la charge administrative liés à la preuve de l’origine sont trop élevés (compréhension des règles, collecte et suivi de tous les documents/déclarations du fournisseur) ;
  • 4 - Les producteurs/exportateurs n’ont pas reçu de la part de leurs fournisseurs les documents/déclarations nécessaires à l’établissement de la preuve de l’origine ;
  • 5 - Une contrainte de temps et une exigence de livraison rapide les empêchent de fournir une preuve d’origine ».
 
Focus sur la modernisation de l’accord avec le Chili et sur l’accord avec la Nouvelle-Zélande
 
La modernisation de l’accord avec le Chili et l’accord avec la Nouvelle-Zélande sont mis en lumière :
  • avec le Chili, les négociations relancées en 2017 ont abouti le 9 décembre 2022 à un accord politique et l’adoption formelle de l’accord – qui doit permettre la levée de quasiment tous les droits de douane –  est prévue pour l’automne 2023 (sur ce sujet, voir « Nouvel accord-cadre avancé UE-Chili : le commerce aussi », dans les « Brèves douanières » au 16 décembre 2022, Actualités du droit, 19 déc. 2022) ; deux témoignages d’opérateurs implantés au Chili confirment la « très bonne perception » des produits français et la facilité de commercer avec ce partenaire, soit depuis l’UE, soit en s’y implantant, bien sûr en faisant preuve toutefois d’une évidente prudence ;
  • avec la Nouvelle-Zélande, un accord a été trouvé le 30 juin 2022, après 4 ans de négociation (sur ce sujet, voir en dernier lieu « Accord UE-Nouvelle-Zélande : vers la ratification » dans les « Brèves douanières » au 7 mars 2023, Actualités du droit, 7 mars 2023) ; l’accord est présenté par Christophe Kiener de la Commission européenne comme « le plus moderne conclu par l’Union européenne », parce que, s’il porte sur 140 millions de réduction de droits de douane (et comprend des contingents tarifaires), il correspond aux valeurs de l’Union (par l’insertion notamment de règles environnementales, comme celles de l’Accord de Paris, ou des « dispositions ambitieuses » pour certains secteurs comme les transports ou les énergies fossiles) ; l’ambassadrice de la Nouvelle-Zélande en France, Caroline Bilkey, confirme l’intérêt de la relation commerciale avec l’UE et qu’il s’agit « plus d’un accord de valeur que de volume » ; enfin, il est souligné que l’accord comporte aussi – ce qui est « un cran au-dessus » des autres – un chapitre dédié aux PME pour fluidifier la relation (un portail/point unique doit leur permettre de comprendre l’accord et les procédures douanières sont là aussi visées).
 
 
Source : Actualités du droit