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Lutte contre les dispositifs hybrides : transposition des directives ATAD

Affaires - Fiscalité des entreprises
10/01/2020
La loi de finances pour 2020 procède à la transposition au sein du Code général des impôts des dispositions des directives ATAD (Anti Tax Avoidance Directive) destinées à lutter contre les dispositifs hybrides.
Les dispositions de la directive (UE) n° 2016/1164 du 12 juillet 2016 (dite « ATAD 1»), telles que modifiées
par la directive (UE) n° 2017/952 du 29 mai 2017 (dite « ATAD 2 ») visant à mettre un terme à certaines pratiques
d’optimisation d’entreprises multinationales limitant l’imposition de leurs bénéfices au moyen de dispositifs
dits « hybrides » sont transposées en droit interne aux nouveaux articles 205 B, 205 C et 205 D du CGI.

Il convient de rappeler qu’un montage fiscal « hybride » vise à utiliser une asymétrie fiscale afin d’éviter l’assujettissement à l’impôt. Les deux types d’asymétrie fiscale répertoriés par l’OCDE sont, d’une part, la déduction
non-inclusion, constatée par exemple lorsqu’un paiement est déduit du résultat du payeur, établi dans une juridiction A, sans être inclus dans le résultat du bénéficiaire, établi dans une juridiction B, et, d’autre part, la double déduction, consistant notamment à déduire un paiement, non seulement du résultat du payeur, mais également du résultat d’une autre personne (investisseur ou personne tierce).

Ces asymétries trouvent leur origine soit dans un paiement au titre d’un instrument financier, soit dans des
différences de qualification fiscale d’une entité selon les juridictions, soit dans des discordances sur la résidence fiscale d’une personne.

Dispositifs hybrides : définition juridique
Typologie
Le nouvel article 205 B du CGI distingue sept types de dispositifs hybrides :
– un paiement effectué au titre d’un instrument financier, donnant lieu à une charge déductible dans l’État de résidence du débiteur sans être inclus dans les revenus imposables dans l’État de résidence du bénéficiaire, l’asymétrie résultant d’une différence de qualification de l’instrument financier ou du paiement entre les deux juridictions (CGI, art. 205 B, I-1°-a) ;
– un paiement à une entité hybride donnant lieu à une charge déductible dans l’État de résidence du débiteur
sans être inclus dans les revenus imposables dans l’État de résidence de l’entité hybride, l’asymétrie résultant d’une
différence dans l’attribution des paiements versés à l’entité hybride en application des règles de l’État de résidence
de l’entité hybride et des règles de l’État de résidence de toute personne détenant une participation dans cette entité hybride (CGI, art. 205 B, I-1°-b) ;
– un paiement d’un établissement stable à son siège ou entre au moins deux établissements stables d’une même
entité, l’asymétrie résultant des différences dans l’attribution des revenus et paiements entre le siège et l’établissement ou entre les deux ou multiples établissements de la même entité (CGI, art. 205 B, I-1°-c) ;
– un paiement à un établissement stable donnant lieu à une charge déductible dans l’État de résidence du débiteur
mais non inclus dans les bases imposables de cet établissement dans un autre État du fait de la non prise
en compte de cet établissement par la législation de cet autre État (CGI, art. 205 B, I-1°-d) ;
– un paiement effectué par une entité hybride, donnant lieu à une charge déductible dans son État de résidence sans être inclus dans les revenus imposables du bénéficiaire, l’effet d’asymétrie étant imputable à la non prise en compte du paiement par l’État de résidence du bénéficiaire (CGI, art. 205 B, I-1°-e) ;
– un paiement réputé effectué par un établissement stable à son siège ou entre au moins deux établissements
stables d’une même entité, donnant lieu à une charge déductible dans l’État de situation de l’établissement, sans
être inclus dans les revenus imposables du bénéficiaire, l’effet d’asymétrie résultant de la non prise en compte
du paiement par l’État de résidence du bénéficiaire (CGI, art. 205 B, I-1°-f) ;
– une double déduction (CGI, art. 205 B, I-1°-g).

Principales notions pertinentes
Le nouvel article 205 B du CGI définit les seize principales notions pertinentes qui permettent de caractériser les
dispositifs hybrides. Ainsi, l’inclusion désigne non seulement la prise en compte d’un paiement dans les revenus imposables du bénéficiaire en application des règles de son État de résidence, mais aussi le fait de ne pas avoir ouvert droit en application des règles de cet État à une exonération, une réduction du taux d’impôt ou un crédit ou remboursement d’impôt, autre qu’un crédit d’impôt au titre d’une retenue à la source. Il est précisé que l’inclusion doit avoir lieu au titre d’un exercice qui commence dans les 24 mois suivant la fin de l’exercice au titre duquel la charge a été déduite (CGI, art. 205 B, I-8° nouveau).

La notion de double déduction renvoie quant à elle à la déduction du même paiement, des mêmes dépenses ou
des mêmes pertes à la fois dans l’État de résidence du débiteur et dans un autre État (CGI, art. 205 B, I-9° nouveau).

De même, un dispositif structuré est défini comme un dispositif utilisant un dispositif hybride et dont les termes
intègrent la valorisation de l’effet d’asymétrie ou un dispositif qui a été conçu en vue de générer les mêmes
conséquences qu’un dispositif hybride, lorsque le contribuable ne peut pas démontrer que lui-même ou une entreprise associée n’avaient pas connaissance du dispositif hybride et qu’ils n’ont pas bénéficié de l’avantage fiscal
en découlant (CGI, art. 205 B, I-14° nouveau). 

Le dispositif hybride inversé désigne quant à lui un dispositif dans lequel une ou plusieurs entreprises associées
détenant ensemble un intérêt direct ou indirect dans au moins 50 % du capital, des droits de vote ou des droits
aux bénéfices d’une entité hybride constituée ou établie dans un État membre de l’Union européenne, sont établies
dans un ou plusieurs États qui considèrent cette entité comme une personne imposable (CGI, art. 205 B, I-15°,
nouveau).

La notion d’entreprise associée d’un contribuable vise les situations d’une entité contrôlée, directement ou indirectement, par le contribuable qui détient au moins 50 % des droits de vote et du capital (CGI, art. 205 B, I-16°).
Ce seuil de détention est abaissé à 25 % en cas de différence de qualification d’un instrument financier ou de
paiement réputé effectué par un établissement stable à son siège.

Une entreprise membre du groupe consolidé auquel le contribuable appartient est également considérée comme
associée. Il est en de même pour une entreprise qui exerce sur le contribuable une influence notable ou sur laquelle
le contribuable exerce une telle influence. Rappelons que l’influence notable est présumée en cas de détention d’au
moins 20 % des droits de vote (C. com., art. L. 233-17-2). 

Exclusions
D’une part, sont exclus du champ d’application du nouveau dispositif les transferts hybrides réalisés par les
négociants financiers dans le cadre de leurs activités habituelles, à condition que les revenus perçus au titre de
ces transferts soient inclus dans leurs revenus imposables (CGI, art. 205 B, II-1 nouveau).

D’autre part, ne sont pas concernées les situations dans lesquelles l’effet d’asymétrie ne survient pas, hors le cas
d’un dispositif structuré, entre un contribuable et une entreprise associée, entre entreprises associées d’un même
contribuable, entre le siège et un établissement ou entre deux ou plusieurs établissements de la même entité (CGI, art. 205 B, II-2 nouveau). 

Les modalités de neutralisation des asymétries
Les modalités de neutralisation des asymétries fiscales dépendent de la nature du dispositif hybride.

Dispositifs hybrides ordinaires
Pour les dispositifs hybrides de déduction non-inclusion, deux règles sont prévues :
– lorsque le paiement est effectué depuis la France, le débiteur ne peut déduire le montant afférent pour la détermination de son résultat imposable (CGI, art. 205 B, III, 1-a nouveau) ;
– lorsque le paiement est effectué vers la France et qu’il a été effectivement déduit par le débiteur établi dans une
autre juridiction, le bénéficiaire doit inclure le montant afférent dans son résultat imposable (CGI, art. 205 B, III-1-b nouveau).

Pour les dispositifs hybrides reposant sur une double déduction, les modalités de neutralisation sont les suivantes:
– lorsque l’investisseur est établi en France, la déduction de la charge du résultat imposable n’est pas admise (CGI, art. 205 B, III-2-a nouveau) ; 
– lorsque le débiteur du paiement est établi en France et que l’autre juridiction autorise l’investisseur à déduire la charge, la déduction est refusée au débiteur établi en France (CGI, art. 205 B, III-2-b nouveau).

Une clause de sauvegarde est prévue lorsque la double déduction concerne un revenu soumis à double inclusion au titre du même exercice ou au titre d’un exercice qui commence dans les 24 mois suivant la fin de l’exercice au titre duquel la charge a été initialement déduite. Lorsque la France est le siège de l’établissement stable non pris en compte par la juridiction dans laquelle il est établi, les revenus attribués à l’établissement stable non pris en compte doivent être inclus en France, dans le résultat du siège, sauf si la France est tenue d’exonérer ces revenus en vertu d’une convention préventive de la double imposition conclue avec des pays tiers (CGI, art. 205, III-4 nouveau).

Dispositifs hybrides importés
La déduction est refusée lorsque le paiement compense un autre paiement afférent à un dispositif hybride, que la compensation soit opérée directement ou par l’intermédiaire d’une série de transactions ou d’un dispositif structuré (CGI, art. 205 B, III-3 nouveau).

Toutefois, la déduction demeure possible si la juridiction de l’une des parties a neutralisé l’asymétrie, uniquement
à hauteur du montant neutralisé. 

Transferts hybrides
Pour les transferts hybrides, l’allègement fiscal accordé au titre de la retenue à la source appliquée au paiement
provenant d’un instrument financier transféré à plusieurs parties est limité au prorata des revenus nets imposables
liés audit paiement (CGI, art. 205 B, III-5 nouveau). 

Dispositifs hybrides inversés
Les revenus de l’entité hybride sont inclus dans son résultat soumis à impôt en France (CGI, art. 205 C nouveau). Une exception est toutefois prévue pour les organismes de placement collectif.

Asymétries résultant d’une double résidence
Dans cette hypothèse, la France refuse la déduction, sauf dans deux cas : lorsque le montant susceptible de faire l’objet d’une double déduction est inclus dans le revenu imposable de son bénéficiaire en France et dans l’autre État ou lorsque l’autre juridiction est un État membre de l’Union européenne refusant la déduction et pour lequel la convention fiscale le liant à la France fixe la résidence du contribuable en France (CGI, art. 2015 D nouveau).

Mesures de coordination
Tout d’abord, la loi abroge le dispositif qui subordonne la déduction d’intérêts versés à une entreprise liée à une imposition minimale de cette dernière au moins égale à 25 % de l’impôt français qui aurait été dû, dès lors que le nouveau dispositif couvre un champ beaucoup plus large (CGI, art. 212, I-b abrogé).

Elle modifie ensuite le II de l’article 209 du CGI pour remplacer la référence au troisième alinéa du I de l’article 212 par une référence au troisième alinéa du I du même article 209. Elle met également en conformité avec la directive ATAD 1 le dispositif d’imposition à la sortie des entreprises en prévoyant que le transfert d’un actif est éligible au dispositif d’imposition à la sortie avec échelonnement du paiement et en supprimant la référence à l’existence d’une convention d’assistance administrative pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale entre la France et les États européens (CGI, art. 221, 2 modifié). 

Par ailleurs, les entreprises autonomes, c’est-à-dire qui n’appartiennent pas à un groupe consolidé et ne disposent d’aucun établissement hors de France, ni d’aucune entreprise associée, auront désormais la faculté de déduire 75 % des charges non admises en déduction à la suite de l’application des plafonds de droit commun (CGI, art. 212 bis, VI bis nouveau).

Enfin, la loi clarifie les modalités de détermination du résultat avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements retenu pour l’application du plafonnement de la déductibilité des charges financières nettes EBITDA ou Earnings before interest, taxes, depreciation and amortization), en indiquant que le résultat fiscal servant de base à cette détermination s’entend de celui avant imputation des déficits mais aussi avant application de l’encadrement de cette déductibilité (CGI, art. 212 bis, II modifié ; CGI, art. 223 B bis, II modifié).

Entrée en vigueur
Les articles 205 B et 205 du CGI, ainsi que les modifications rédactionnelles des articles 209 et 212 du même Code, s’appliquent aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2020.

Par exception, l’article 205 C du CGI s’applique aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2022.
Quant à la nouvelle rédaction des articles 212 bis et 223 B bis du CGI, elle s’applique aux exercices clos à compter du 31 décembre 2019. 
 
COMMENTAIRE
Cet article transpose en droit français la directive du 29 mai 2017 dite ATAD 2, modifiant la directive du 12 juillet 2016 dite ATAD 1, laquelle avait d’ores et déjà fait l’objet d’une transposition partielle. Ces deux directives sont largement inspirées du plan BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) de lutte contre l’érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices développé dans le cadre de l’OCDE. À cet égard, dans son rapport de 2015, intitulé « Action 2 : Neutraliser les effets des dispositifs hybrides », l’OCDE préconise l’application de règles par chaque juridiction selon leur positionnement dans le montage identifié, en distinguant entre une règle principale, prioritairement appliquée, en vertu de laquelle la juridiction du payeur ou de l’investisseur doit refuser la déduction du montant correspondant et une règle secondaire, qualifiée de « défensive » car elle ne peut être appliquée que si la première juridiction n’a pas mis en oeuvre la règle principale. Cette logique, qui consiste à assurer la coordination des réponses aux dispositifs hybrides, afin de les neutraliser sans conduire, au contraire, à des situations de double-imposition, se fait jour au travers des modalités de neutralisation des asymétries introduites en droit français. Dans un souci de sécurité juridique, le législateur a procédé à des adaptations de la définition proposée par la directive ATAD 2 pour deux notions, celles d’inclusion et de dispositif structuré. Il s’est également écarté de la directive s’agissant de la durée au cours de laquelle l’inclusion est appréciée, en prévoyant une période de 24 mois (et non 12 dans la directive) suivant la fin de la période d’imposition du payeur. De même, il a opéré un renversement de la charge de la preuve en matière de dispositif structuré, le contribuable devant démontrer qu’il n’a pas eu connaissance du dispositif hybride et qu’il n’a pas bénéficié de l’avantage fiscal en découlant.
Ainsi, ces dispositions viennent compléter l’arsenal juridique dont dispose la France pour lutter contre l’évasion fiscale, lequel a récemment fait l’objet d’enrichissements substantiels, notamment à travers la transposition d’initiatives internationales et européennes.
Source : Actualités du droit